Médiateur, métier d’avenir

Ils ramènent la paix dans les familles, les entreprises et les quartiers

Pour qu’il n’y ait « ni vainqueur ni vaincu » et pour désencombrer les prétoires, ce nouveau mode de résolution des conflits s’impose petit à petit

Article paru dans Le Nouvel Observateur, le 30 mai 2013

Il y a ces parents qui se déchirent pour la garde des enfants. Ce chef d’entreprise à couteaux tirés avec son associé qui «avant était pourtant un grand ami».

Ces voisins pétris de haine à cause d’une sombre histoire de bornage. Ce manager et son subordonné s’accusant mutuellement de harcèlement. Ces deux entreprises en guerre l’une contre l’autre en raison d’un grave différend financier.

Alors quoi ? Echanges de courriers d’avocats ? Dépôt de plainte ? Prud’hommes ? Avant de sortir la grosse artillerie de la justice, ils sont de plus en plus nombreux à recourir pour une « résolution amiable des différends », comme le dit le Code de procédure civile, à la médiation.

Soit qu’ils aient décidé entre eux d’aller voir un médiateur, soit que le juge le leur propose « justement pour éviter le procès », explique Fabrice Vert, magistrat, référent médiation et conseiller à la cour d’appel de Paris. « A l’issue d’un procès, il y a toujours un vainqueur et un vaincu. Et un risque d’interminable guerre judiciaire. La médiation a l’immense avantage de rétablir un lien entre des personnes qui devront, de toutes façons, continuer à fonctionner ensemble ».

« Environ 100 000 particuliers et institutions se prévalent du titre de médiateur » explique Fabrice Vert. Un déferlement qui correspond à une société qui cherche à « fabriquer de la cohésion » d’après le chercheur Jacques Faget. Ces « faiseurs de paix » viennent de tous les horizons, selon la nature des conflits : retraités, travailleurs sociaux (notamment dans les quartiers sensibles), notaires, avocats, huissiers, experts en tout genre. « Mais pour beaucoup, c’est une activité annexe, bien peu en vivent » remarque Sylvie Adijes qui, elle, a quitté il y a dix-huit ans sa robe d’avocate pour se consacrer entièrement à la médiation.

Une profession peu structurée, donc, pour laquelle il n’existe que des formations continues ( CNAM, Institut catholique de Paris, CCI de Paris, fac de Nanterre, etc) et un seul diplôme d’état, réservé aux médiateurs familiaux. « Nous sommes 12 000 dans cette spécialité », constate Isabelle Jués du cabinet Accalmie. Son lumineux rez-de-chaussée d’un petit immeuble de Boulogne-Billancourt – fauteuils confortables, tapis colorés – voit défiler nombre de couples déchirés mais contraints de s’accrocher « pour le bien des enfants » ou d’adultes se disputant à l’infini l’héritage de leurs parents. Telles ces trois femmes qui a, 87, 92 et 97 ans, n’en avaient manifestement pas terminé avec leurs confits d’enfance.

« Nous ne sommes ni des juges ni des thérapeutes résume Isabelle Jués. Mais alors que dans les prétoires les personnes sont des adversaires, ici, elles sont partenaires. On n’est pas là pour fouiller les inconscients, le but est de parvenir à une solution concrète acceptée par les deux parties ».

Tous les domaines de la vie peuvent nécessiter des médiateurs.

« De plus en plus, nous intervenons dans les entreprises pour des affaires de discrimination ou de harcèlement », remarque Sylvie Adijes. Un bon accord peut parfois se révéler plus satisfaisant qu’une interminable action aux prud’hommes. Souvent, le différend cache d’autres revendications. « Une salariée qui s’estimait discriminée réclamait une somme démesurée, raconte Sylvie Adijes. En réalité, elle exprimait un besoin de reconnaissance. L’accord final a prévu que le journal interne du groupe présenterait un nouveau service inventée par la salariée ».

« Ce sont souvent les DRH qui nous sollicitent mais parfois aussi les syndicats », note Jean-Edouard Grésy, le fondateur du cabinet AlterNego, diplômé d’une école de commerce et anthropologue.

Selon Fabrice Vert, cependant, « en France, terre de chicane avec un peuple très procédurier » le développement de la médiation, beaucoup plus lent que dans les pays anglo-saxons, nécessitera un vrai changement culturel. Sans compter une volonté politique pour accompagner sur le terrain ce développement, pour le moment très informel.

Jacqueline De Linares
Le Nouvel Observateur, 20 mai 2013

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